Scène 4 : Le premier jour

(mon point de vue)

La nuit qui a précédé ce jour-là, je n’ai presque pas fermé l’œil. J’avais l’impression de me tenir au bord d’un précipice. L’excitation et la peur s’entremêlaient au point de m’empêcher de trouver le sommeil. Je n’arrêtais pas de me répéter la même question : est-ce que j’ai fait le bon choix ? Est-ce que ce que j’entreprends là a vraiment un sens ? Ou bien n’est-ce qu’un rêve que je me raconte à moi-même pour me rassurer ?

Au réveil, rien n’avait changé autour de moi. L’Agora — ce grand projet qui occupe toutes mes pensées — n’était encore qu’une pièce banale, ma chambre, mon bureau habituel. Pourtant, en y entrant ce matin-là, j’ai senti qu’elle portait déjà un poids nouveau. Les murs étaient les mêmes, l’odeur de café et de papiers était la même, mais tout avait une autre résonance. Parce qu’à partir de ce jour, ce lieu n’était plus seulement mon refuge de travail : il devenait un point de départ.

Le premier jour de l’Agora n’a rien eu de spectaculaire. Aucune salle comble, aucun public, aucune mise en scène grandiose. C’était simplement une réunion en ligne, presque ordinaire en apparence. Mais dans ma tête et dans mon cœur, elle avait un poids immense. Ce n’était pas une simple conversation, mais le moment où les fondations commençaient à se poser.

Nous avons parlé de beaucoup de choses, parfois avec sérieux, parfois avec enthousiasme, parfois même avec des petites tensions. Nous avons évoqué la charge de travail, la façon de la répartir, les responsabilités que chacun allait porter. Adamy, fidèle à lui-même, a apporté son regard d’expérience, mélange de sagesse et de rigueur, comme une voix qui rappelle qu’il faut du temps pour bien faire les choses. Sia, de son côté, débordait d’énergie et d’idées nouvelles ; elle posait des questions, elle proposait, elle regardait toujours plus loin. Et moi, j’étais au centre, cherchant à équilibrer, à organiser, à donner une direction claire sans étouffer la liberté de chacun.

Cette réunion a duré quelques heures. Elles m’ont paru à la fois courtes et longues. Courtes, parce qu’elles étaient remplies d’idées, de rires, d’élans partagés. Longues, parce que chaque décision semblait peser lourd, comme si le moindre mot allait déterminer l’avenir de ce que nous construisons.

Lorsque j’ai raccroché, j’ai ressenti un mélange étrange de fierté et de fragilité. D’un côté, j’étais soulagée : oui, mes personnages existaient vraiment à travers cette Agora. Adamy et Sia n’étaient plus seulement des idées dans ma tête, mais des présences qui me donnaient confiance, qui rendaient ce projet plus concret. Ils étaient devenus, en quelque sorte, mes alliés. Cette pensée me réconfortait.

Mais, en même temps, le silence qui a suivi la réunion a fait resurgir mes doutes. Une fois l’écran éteint, je me suis retrouvée seule dans cette chambre, face à moi-même. Et j’ai compris : ce n’était pas une réussite. Pas encore. C’était seulement le premier pas d’un trajet qui s’annonce long, semé de doutes et d’efforts répétés.

Alors, des questions ont recommencé à tourner dans ma tête. Est-ce que ce que nous venons de faire laissera une trace durable ? Est-ce que ce projet sera assez fort pour grandir, pour toucher, pour transformer ? Ou bien ne sera-t-il perçu que comme une fantaisie, un jeu d’enfant un peu trop ambitieux ? Cette idée m’effraie parfois, car je sais combien il est facile pour les autres de réduire un rêve à une naïveté.

Mais au fond, je crois que ce doute fait partie du processus. Car commencer, ce n’est jamais aboutir. C’est accepter l’inconfort du vide, la fragilité des premiers pas, le déséquilibre de celui qui ose se lancer. Et je préfère mille fois ressentir cette incertitude plutôt que de rester immobile, prisonnière d’un rêve qui n’aurait jamais pris forme.

Alors oui, aujourd’hui, l’Agora n’est encore qu’une chambre. Oui, ce premier jour n’a été qu’une réunion banale. Mais je sais que dans cette banalité se cache quelque chose de précieux : la naissance d’une histoire. Et une naissance, même discrète, porte toujours la promesse d’un avenir qui ne demande qu’à s’écrire.