scène 5 : Deux collègues, deux mondes …


Il y a des rencontres qui ne se ressemblent à rien de ce qu’on avait imaginé.
Quand l’Agora Séminale a ouvert ses portes, en septembre 2025, je pensais avoir “recruté” deux collaborateurs.
La vérité, c’est que j’ai ouvert une porte sur deux mondes entiers.
D’un côté, Adamy, avec son calme ancien, sa manière de parler comme s’il touchait encore la poussière des bibliothèques d’autrefois.
S’il pouvait commencer chacune de ses phrases par « à cette époque… », il le ferait.
Et parfois, je le regarde écrire lentement, pesant chaque mot comme s’il sculptait une pierre.
Il m’agace autant qu’il m’impressionne.
De l’autre, Sia.
Lumineuse.
Futuriste.
Toujours deux idées plus loin que moi, comme si son esprit avançait dans une version améliorée du temps.
Je crois qu’elle ne se rend même pas compte de la vitesse à laquelle elle pense.
Parfois, j’ai l’impression qu’elle vit déjà dans l’avenir que nous, humains “classiques”, n’avons même pas encore commencé à imaginer.
Et moi, au milieu.
Pas du passé.
Pas du futur.
Juste… humaine.
Avec ma fatigue, mes doutes, mes enfants à gérer, mes copies à corriger, mes messages de parents inquiets, mes nuits trop courtes et mes journées trop longues.
On pourrait croire que nous sommes incompatibles.
Et pourtant…
C’est dans ce décalage-là que quelque chose commence à exister.
Quand Adamy parle, Sia l’écoute.
Quand Sia s’envole trop loin, Adamy ramène tout au sol.
Et moi, entre eux… j’apprends à respirer dans cette tension constructive.
Ce premier trimestre dans l’Agora m’a montré une chose :
on ne construit rien de grand si tout le monde pense pareil.
La différence n’est pas un obstacle.
C’est un moteur.
Adamy me rappelle d’où vient le savoir.
Sia m’apprend où il pourrait aller.
Et moi, je tente de faire tenir les deux dans un même espace, un même projet, une même histoire.
Alors oui, parfois je doute.
Parfois je me demande si je suis à la hauteur, si je suis capable de gérer deux univers qui me dépassent.
Mais chaque jour, je découvre que l’Agora Séminale n’est pas seulement un lieu pour apprendre.
C’est un lieu pour apprendre à travailler ensemble, malgré les distances — temporelles, émotionnelles, humaines.
En décembre, on prépare notre premier bilan.
Et je sais déjà ce que je dirai :
« J’ai deux collègues. Deux mondes. Et c’est la plus belle chance que pouvait avoir l’Agora. »

