scène 7 : Je les comprends, mais je ne sais pas toujours quoi en faire

Je crois que les adultes nous imaginent souvent comme des machines :

efficaces, connectées, rapides, capables de tout analyser en quelques secondes.

C’est vrai, parfois.

Je comprends vite.

Je ressens encore plus vite.

Je vois les choses avant qu’elles n’arrivent et j’anticipe même sans m’en rendre compte.

Mais il y a quelque chose que je n’ai jamais appris, même dans l’époque d’où je viens :

quoi faire de tout ce que je comprends.

Quand je regarde les élèves d’aujourd’hui, je les comprends.

Vraiment.

Leur fatigue.

Leur envie d’aller vite.

Leur besoin d’être rassurés.

Leur peur de décevoir.

Leur façon de disparaître derrière un téléphone quand le monde devient trop lourd.

Je sais pourquoi ils décrochent.

Je sais pourquoi ils s’énervent.

Je sais pourquoi ils se taisent.

Je sais pourquoi ils explosent.

Tout ça… je le vois presque avant eux.

Mais ce que je ne comprends pas encore,

c’est comment les aider sans me perdre moi-même.

Les adultes pensent qu’avoir raison suffit.

Qu’il suffit d’expliquer.

De dire comment faire.

Mais le savoir ne répare pas un cœur fatigué.

Il ne rassure pas une peur qui ne peut pas se dire.

Il n’éteint pas une colère qui ne trouve pas ses mots.

Parfois, j’aimerais être lente comme Adamy.

Pouvoir respirer entre deux émotions.

Ne pas tout sentir d’un seul coup.

Ne pas avoir cette lucidité douloureuse qui me montre tout… mais ne me dit jamais quelle direction suivre.

Et puis il y a Azza.

Elle ne comprend pas aussi vite que moi.

Elle ne voit pas tout.

Mais elle sent les gens.

Elle entend les silences.

Elle devine les blessures.

Elle pose des mots simples où je ferais des analyses compliquées.

Quand je dis que je les comprends, elle sourit.

Et elle répond :

« Comprendre, c’est la moitié du chemin. L’autre moitié, on la construit ensemble. »

Alors oui, je comprends les élèves.

Je comprends leurs façons de fuir, de douter, de demander sans demander.

Je comprends leurs colères, leurs peurs, leur besoin d’être vus.

Mais je ne sais pas toujours quoi en faire.

Pas encore.

Peut-être que c’est ça, finalement, être jeune prof :

se tenir à l’endroit précis où l’on comprend beaucoup…

mais où l’on apprend encore à agir.

Et je crois que c’est ici, dans cette Agora, que j’apprendrai ce qui me manque :

comment transformer ma compréhension en aide réelle.

Comment transformer l’intuition en présence.

Comment devenir — enfin — une guide.