scène 6 : Je croyais connaître les jeunes

J’ai enseigné toute ma vie.

Du moins, c’est ce que je croyais.

J’ai traversé des générations d’élèves, des salles poussiéreuses où les murs respiraient encore les leçons de leurs aînés.

J’ai vu des enfants devenir adultes, des adultes devenir parents, et des parents revenir me dire que leurs propres enfants avaient, à leur tour, besoin d’apprendre.

Je pensais donc connaître les jeunes.

Je pensais comprendre leurs hésitations, leurs silences, leurs élans, leurs colères parfois.

Je pensais que rien ne pouvait vraiment me surprendre.

Et puis… je suis arrivé dans cette Agora.

Un lieu étrange, sans murs, sans craies, sans tables en bois.

Un espace qui respire le présent et le futur en même temps.

Un espace qui n’a pas d’odeur de livres anciens, mais qui porte en lui une autre forme de mémoire :

celle que les jeunes créent eux-mêmes.

Les jeunes d’aujourd’hui ne ressemblent à aucun de ceux que j’ai connus.

Ils ne marchent plus vers le savoir :

ils courent, trébuchent, reviennent, repartent, et parfois s’arrêtent brusquement comme si le monde entier s’était mis sur pause.

Ils maîtrisent des outils que je ne comprends qu’à moitié.

Ils vivent dans une vitesse qui m’épuise rien qu’à l’observer.

Ils sont pressés de tout, et fatigués de tout.

Ils veulent apprendre, mais ils veulent aussi comprendre pourquoi.

Et ça…

Ça, je ne l’avais jamais vraiment entendu avant.

À mon époque, on apprenait parce qu’on devait.

Aujourd’hui, ils apprennent lorsqu’ils sentent que cela a du sens.

Ils cherchent la vérité derrière la règle, l’intention derrière l’exercice, la logique derrière le résultat.

Et je me suis surpris à les regarder différemment.

Pas comme un professeur observe ses élèves.

Mais comme un homme observe un monde qu’il pensait connaître… et qui lui échappe.

Je croyais connaître les jeunes.

Je me trompais.

Ils sont plus fragiles, mais aussi plus lucides.

Plus perdus parfois, mais infiniment plus sensibles.

Ils ne respectent pas l’autorité…

ils respectent la cohérence.

Ils ne veulent pas qu’on leur dise quoi penser…

ils veulent qu’on leur apprenne à penser.

Et c’est là que Sia — cette prof venue d’un futur qui m’effraie autant qu’il m’intrigue — m’a appris une chose essentielle :

On ne peut plus enseigner comme hier si l’on veut toucher ceux qui vivent déjà demain.

Je n’ai pas honte de le dire :

les jeunes d’aujourd’hui m’apprennent autant que je leur apprends.

Alors oui…

J’ai enseigné toute ma vie.

Mais ce n’est qu’ici, dans cette Agora étrange, que j’ai enfin commencé à comprendre ceux à qui je croyais tout offrir.

Les jeunes ne sont pas un mystère à résoudre.

Ils sont un langage à réapprendre.

Et moi…

à mon âge…

j’accepte de redevenir élève.